VOIR LA FORÊT ET LES ARBRES.

Auteur : Joanna Eyquem, conseillère en innovation scientifique et en politique, Société fiduciaire des forêts du Canada

Je pense que je ne verrai jamais un poème aussi beau qu'un arbre..." Joyce Kilmer, 1913. 

Le premier vers du poème de Kilmer est une ode à la nature. Au fil des ans, ses détracteurs ont qualifié son poème sur les arbres de "simpliste, daté, sirupeux, sentimental et somptueux". Le changement climatique et l'appauvrissement de la biodiversité nous obligent à revoir non seulement notre conception des arbres, mais aussi celle des écosystèmes forestiers et de nos relations avec la nature.

Au cours des dernières décennies, le rôle des arbres dans l'atténuation du changement climatique a fait l'objet d'une plus grande attention. Aujourd'hui, nous apprécions particulièrement les arbres pour leur rôle dans la capture du carbone dans l'atmosphère afin de ralentir le changement climatique. La plantation de forêts est devenue une stratégie de choix pour atteindre les objectifs de réduction nette des émissions de gaz à effet de serre et fait partie de la boîte à outils appelée "solutions basées sur la nature". 

Ce qu'il faut maintenant reconnaître davantage, c'est la multitude de rôles que jouent les forêts dans notre bien-être, notamment en nous aidant à nous adapter aux effets du changement climatique. Récemment, le besoin urgent de se préparer à l'augmentation des risques climatiques a été formalisé dans la stratégie nationale d'adaptation du Canada, et les solutions basées sur la nature font partie de la réponse. Par exemple, les forêts peuvent contribuer à absorber, stocker et ralentir l'eau en amont afin de réduire les risques d'inondation en aval. Les forêts urbaines font également partie de notre panoplie de mesures pour lutter contre les chaleurs extrêmes. Alors que les termes "adaptation au climat" et "résilience au climat" deviennent de plus en plus courants dans notre lexique de l'action climatique, nous devons veiller à ce qu'ils reçoivent la même attention que la réduction des émissions, y compris dans nos conversations autour des arbres. 

Un problème persistant est que les humains sont obstinément enclins à voir les arbres et à ne pas voir le fonctionnement de l'écosystème forestier.

Les éléments vivants d'un écosystème, tels que les plantes, les animaux et les bactéries, sont interdépendants des éléments non vivants tels que l'eau, le sol et l'atmosphère. Nous ne pouvons pas nous concentrer uniquement sur les éléments biologiques (comme les arbres) et ignorer les systèmes qui les soutiennent [voir l'image des systèmes de cours d'eau ci-dessous]. Nous devons également gérer à l'échelle des systèmes naturels. Sans une gouvernance à des échelles qui ont du sens pour la nature, comme les bassins hydrographiques, nos divisions juridictionnelles risquent d'entraver nos efforts d'adaptation. Tous les niveaux de gouvernement ont un rôle à jouer pour développer des solutions basées sur la nature, comme le souligne un rapport récent de l'Intact Centre on Climate

Nous devons également être moins "cloisonnés" dans la façon dont nous mesurons le rendement de nos investissements verts. De nombreuses initiatives de solutions fondées sur la nature se concentrent sur des objectifs particuliers plutôt que sur l'ensemble des avantages qu'elles procurent à la population. Par exemple, au niveau fédéral, nous avons le fonds Nature Smart Climate Solutions (NSCS), qui est principalement axé sur l'atténuation, ainsi que le Fonds pour les infrastructures naturelles, qui est davantage axé sur l'adaptation. Ces fonds ont des objectifs différents, mais ils investissent tous deux dans des solutions fondées sur la nature qui génèrent des avantages multiples. Le défi est d'empiler et de comptabiliser l'ensemble des bénéfices en une seule fois.

De nombreux projets, y compris ceux menés par le Trust forestier du Canada, font en fait le lien entre les actions en faveur du climat et de la nature, en contribuant à l'atténuation du changement climatique, à l'adaptation au changement climatique et à l'inversion de la tendance à la perte de biodiversité. Cette passerelle se reflète dans plusieurs objectifs du nouveau cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal

Une fois les avantages multiples identifiés, ils doivent être pris en compte dans la prise de décision économique. Bien que les gouvernements et les entreprises soient d'accord sur le principe de l'importance de la nature, "il est encore relativement rare que les services rendus par la nature soient systématiquement pris en compte dans les décisions d'investissement, la gestion des actifs ou la comptabilité. En conséquence, les décisions peuvent ne pas être économiquement rationnelles à long terme". 

Je suis très encouragé par l'élan que nous avons au Canada pour faire en sorte que la nature compte vraiment. Dans le cadre de ma contribution, je codirige un groupe de travail avec KPMG Canada et la Natural Assets Initiative, qui réunit des économistes, des comptables, des responsables financiers et des spécialistes de l'environnement. Nous travaillons actuellement ensemble sur des orientations relatives à l'évaluation et à la comptabilisation des actifs naturels dans les rapports financiers. 

Une approche normalisée, cohérente et transparente nous aidera à comptabiliser et à gérer les actifs naturels et, en fin de compte, à prendre de meilleures décisions. Comme première étape vers la normalisation, le Groupe CSA publiera cet été une norme nationale qui pourra être utilisée pour inventorier les actifs naturels.

Au-delà de ces normes nationales, nous pouvons tous faire davantage pour mieux prendre conscience de la valeur de la nature dans notre vie. En accompagnant mes enfants à l'école dans mon quartier urbain de Montréal, nous passons devant des arbres auxquels sont attachées de petites étiquettes bleues.

Ces étiquettes fournissent des informations telles que le type d'arbre et une ventilation des avantages que ces arbres procurent à l'homme, notamment la séquestration du carbone, la réduction de la pollution de l'air et la gestion des eaux de ruissellement.

Les étiquettes sont visibles par tous, ce qui renforce le message selon lequel, si la nature n'a pas de prix, sa valeur financière ne peut plus être fixée à zéro.

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