Investir dans nos forêts, une voie vers la réconciliation
Auteur : JP Gladu, Président, Société fiduciaire des forêts du Canada
Les forêts d'Amérique du Nord ont subi d'importantes transformations depuis l'arrivée des Européens. En tant que membres des Premières nations, nous considérons que notre relation avec notre mère la Terre et ses forêts est mutuellement durable. En revanche, les colons européens considéraient la terre comme sauvage et non gérée. En relativement peu de temps, ces colons ont commencé à exploiter les forêts pour l'industrie et à défricher les terres pour l'agriculture et l'urbanisation. La colonisation et les déplacements de population ont pratiquement anéanti les institutions politiques, culturelles, éducatives et spirituelles des peuples autochtones. Les savoirs autochtones et les pratiques traditionnelles de gestion ont également disparu. Du fait de la domination, de l'exploitation et de la discrimination des colons, les forêts d'aujourd'hui sont "plus jeunes, plus fragmentées et plus homogènes" et, par extension, beaucoup moins résistantes et biodiversifiées qu'elles ne l'étaient autrefois.
Cela dit, je suis convaincu qu'une nouvelle ère est arrivée.
En juin 2015, la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) a présenté son rapport "Appel à l'action" recommandant que les gouvernements canadiens à tous les niveaux utilisent la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones comme cadre de réconciliation. Il convient de noter que l'article 29, paragraphe 1, de la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît que tout chemin significatif vers la réconciliation doit inclure la reconnaissance de l'environnement : "Les peuples autochtones ont droit à la conservation et à la protection de l'environnement et de la capacité de production de leurs terres ou territoires et de leurs ressources. Les États établissent et mettent en œuvre des programmes d'assistance aux peuples autochtones pour cette conservation et cette protection, sans discrimination". Pour reprendre les mots de Mary Deleary, ancienne d'Anishinaabe, le travail de réconciliation doit honorer nos ancêtres, respecter la terre et rééquilibrer les relations.
Une approche plus durable et plus inclusive de la sylviculture est une étape sur la voie du rééquilibrage des relations, et je vois le changement se produire à travers quatre piliers clés.
1. Reconnaissance des droits fonciers
Pour les peuples autochtones, la terre n'appartient qu'au Créateur et, en tant que gardiens, nous devons en prendre soin, l'utiliser et la partager si nous le souhaitons. Au fil du temps , cependant, les colons ont de plus en plus considéré les millions d'hectares de terres non cultivées et non exploitées comme des "terres de la Couronne", des terres publiques - leurs terres. Un nouveau processus de négociation de la répartition équitable des terres et des ressources a été adopté au cours de la dernière décennie. Actuellement, des mesures sont prises pour fournir suffisamment de terres et de ressources pour répondre aux besoins immédiats des nations autochtones. Dans le même temps, les communautés autochtones de tout le Canada ont mis en place des zones protégées et un système de tutelle des terres, et notre élan ne fait que croître. Le programme de surveillance des ressources des gardiens autochtones de l' initiative de leadership autochtone à but non lucratif, dirigé par Valérie Courtois, en est un parfait exemple. Mme Courtois est une forestière professionnelle agréée et la force motrice du rôle croissant du programme des gardiens autochtones dans la préservation de la forêt boréale du Canada et de notre nature sauvage. Ce rapatriement de l'intendance contribue déjà de manière positive à la santé de nos forêts et au programme d'action climatique du Canada, et il doit se poursuivre.
2. Véritable collaboration
Avant l'arrivée des Européens en Amérique du Nord, les peuples autochtones étaient organisés en nations souveraines. Nous avions nos propres cultures, économies, gouvernements et lois. Avec la colonisation, les modes de vie autochtones ont été considérés comme inférieurs et de nombreuses structures d'autodétermination ont été gravement compromises. La définition de l'engagement significatif a évolué vers une norme selon laquelle les accords qui concernent les peuples autochtones et leurs droits, y compris leurs terres, leurs territoires et leurs ressources, doivent d'abord obtenir le "consentement libre, préalable et éclairé" de ces peuples autochtones. Bien que nous soyons conscients qu'il existe encore des cas où cette norme minimale est contestée, les "principes de consultation et de consentement" ont pour objectif d'"éviter l'imposition de la volonté d'une partie sur l'autre" et de "s'efforcer de parvenir à une compréhension mutuelle et à une prise de décision consensuelle". L'un des aspects qui me séduit le plus au sujet de la Société fiduciaire forestière du Canada (CFT) est que nous abordons la collaboration avec les communautés autochtones sous cet angle. En tant qu'intermédiaires honnêtes entre les entreprises qui ont de l'argent à investir et les communautés qui ont besoin de cet investissement, la CFT respecte et soutient les communautés indigènes pour qu'elles réalisent leur vision de la restauration de leurs terres et de leurs forêts. À chaque étape, toutes les parties sont égales autour de la table.
3. Combiner les connaissances traditionnelles et l'innovation
Les peuples autochtones sont les gardiens de la terre depuis des temps immémoriaux. Nous ne nous considérons pas comme séparés de la nature ; nous en faisons partie. Il n'est donc pas surprenant que la plupart des aspects de notre vie tournent autour de l'honneur, du respect et de l'action en faveur des personnes et de la planète. Notre connaissance traditionnelle de l'interdépendance entre le sol, l'eau, l'air, les plantes et les animaux a conduit à des techniques de gestion durable des forêts qui ont été testées et éprouvées à maintes reprises.
Par exemple, le rapport d'évaluation mondiale des Nations unies sur la biodiversité et les services écosystémiques indique que "les terres et les eaux gérées par les peuples autochtones dans le monde entier ont tendance à être plus saines et plus vivantes".
Une étude de l'université de Colombie-Britannique a révélé que le nombre d'oiseaux, de mammifères, d'amphibiens et de reptiles au Canada et ailleurs était le plus élevé sur les terres gérées par les communautés autochtones. En revanche, l'appréciation occidentale des écosystèmes et de la biodiversité est un phénomène relativement nouveau.
Pourtant, ce que l 'ancien Mi'kmaq Albert Marshall appelle la "vision à deux yeux" - la combinaison des progrès de la science et de la technologie avec les pratiques forestières dirigées et informées par les autochtones - s'avère essentielle au succès du Canada dans la préservation de notre biodiversité indigène et dans la lutte contre le changement climatique. Pour intégrer les savoirs traditionnels autochtones dans l'équation de la planification et de la conservation des forêts, les gardiens des savoirs autochtones doivent être inclus dès les premières discussions autour de tout projet, et le respect de la valeur de leur expertise et de leur expérience exige qu'ils soient reconnus et indemnisés de manière appropriée.
4. Durabilité mutuelle et économie inclusive
Comme je l'ai indiqué, la relation des peuples autochtones avec la terre est fondée sur la réciprocité. Nous prenons soin de la nature et, en retour, la nature nous nourrit et nous abrite et, dans ce monde moderne, elle génère également de bons emplois et des revenus. L'identification de moyens permettant aux communautés autochtones de partager équitablement les opportunités économiques découlant de l'exploitation des ressources est un élément essentiel de Vérité et Réconciliation, car une bonne gestion de l'environnement ne signifie pas qu'il ne faut jamais prélever sur la terre. Cela signifie plutôt que lorsque l'on prend de la terre, on le fait de manière à minimiser les dommages à long terme, à améliorer la santé à long terme et à permettre à la nature de se reconstituer. La plupart des communautés autochtones se trouvant sur des terres forestières ou à proximité, le fait de garantir notre part équitable du potentiel économique futur de la foresterie durable au Canada contribue à la prospérité du pays et de ses populations autochtones. Dans le climat économique actuel, la réconciliation économique offre un avantage concurrentiel, un degré de confiance et de crédibilité, en particulier dans le domaine des investissements ESG. En fait, il est temps d'ajouter officiellement "I" pour Indigène à l'équation commerciale, non pas pour cocher une case, mais pour reconnaître le potentiel largement inexploité des entreprises et des travailleurs indigènes et pour admettre que l'avenir économique du Canada se construira en partenariat avec les Premières nations, les Métis et les Inuits.
Il n'y a pas d'expression plus directe de la vérité et de la réconciliation.